Exposition de Michelle Durand sur des textes de Hombeline et de Gilles champeaux.
La rencontre entre ces textes écrit au fil de mes créations et le travail de Michelle Durand donne enfin corps à une sensibilité jusque là réservée au domaine du spectacle vivant. Du chant avec mes récitals à la danse avec les chorégraphie de Marie Hélène Desmaris en passant par le théâtre avec la mise en scène de notre livre « t’aimer est mon jardin » joué par la comédienne Isabelle Arnoux, je suis heureuse de voir mis en scène ces mots sur des toiles inspirées, accrochées dans divers lieux magnifiques pour cette exposition « Toiles écrites » où l’image et la matière incarne ma poésie.
Merci Michelle.
Hombeline le 10 juin 2010
Par sa poésie, Hombeline invite impérativement à rejoindre la vie et l’amour. Cette émotion primordiale qui nous réunis au vivant. Tout projet a une attirance naturelle vers la vie, l’amour, la matière !
La parole féminine est imprégnée dans le buvard de la vie par l’enfantement. La proposition est très matricienne ! Cette invitation à la naissance, au véritable voyage est le sens même de la poésie d’amour : se mettre en phase avec la vie,se mettre en phase avec cette émotion primordiale et ainsi échapper au projet du mental.
Tous les artistes ont besoin de cette matière primordiale car l’art et l’amour sont liés de manière indissociable.
L’amour est un jardin ! Il se tisse de trames et de chaînes, organise les vibrations, les met en phase, réunit en des rencontres, des projets de vie qui ne sont que nécessité de faire survivre en soi tout ce qui vibre. Le temps ne compte plus.
Amour et vie se prononcent en un cri, le même pour tous, venu des origines.
Et le cri se propage comme se propagent les ondes. Du centre atteint à la périphérie où se perdent les destins.
Puis, sur le trajet ondulant, quelqu’un indique le mouvement, détourne et matérialise, projette, aime autant qu’il peut, navigue en portant un regard aveugle sur les étoiles scintillantes.
Théâtre et littérature, chants et danses, graphies de plasticiens, mots masqués, arrêt sur image. L’amour est moteur, prétexte. Il instille du sens dans tous les désordres.
Dans mon jardin poussent des plantes de vie, exubérantes et si belles.
Roberto Garcia.
1 Le temps d’aimer n’est pas un temps qui nous est donné, C’est un temps qu’il nous faut prendre.
Lou tèms d’ama noun es un tèms douna, es un tèms que nous fau aganta. Hombeline
2 Après la pluie c’est toujours le soleil qui revient
Et malgré les ravines les chemins se refont
Après la plueio es toujour lou soulèu que torno, e mau-grat li roubino li camin reprenon vido. Hombeline
3 C’est ainsi que poussent les champs de blés, par désir de pain, par soif de partage.
Ansin naisson li terro de blad, pèr desiranço de pan, pèr talènt de parteja. Hombeline
4 Je ne sais des graines que leur élan de vie. Je ne sais d’aimer qu’un peu d’eau fraiche quand j’ai eu soif.
Noun sabe di grano que soun envanc de vido, noun sabe d’ama qu’un degout d’aigo fresco quand ai agu set. Hombeline
5 Je suis un jardin siéu un jardin Hombeline
6 Ma vieille mère, ma Provence Mon enfant, ma terre à rides, mon coin de lune, mon berceau.
Ma vièio maire, ma Prouvènço, moun enfant, ma terro frounsido, moun cantoun de luno, ma bressolo. Hombeline
7 Mon cœur est une friche où pousse la poésie. Aimer naît de chaque graine que porte le vent.
Moun cor es un ermas ounte greio la pouësio, ama nais dins cado grano que lou vènt carrejo. Hombeline
8 N’aie pas peur du bruit de tes pas, ce n’est pas toi qui fais écrouler la montagne.
Agues pas pòu dóubrut de ti pas, es pas tu que fas derruna la mountagno. Hombeline
9 Et l’enfant demande à Dieu « Tu arroses souvent le ciel de pépites d’or ? »
E l’enfant demando à Dieu Diéu « Arroses souvènt lou cèu de pepito d’or ? » Hombeline
10 La danse des fleurs, C’est un bouquet sauvage que personne n’a cueilli, Un bouquet soufflé par le vent et giflé de beauté.
La danso di flour, es un bouquet fèr que jamai degun culiguè, un bouquet boufa pèr lo vènt e bacela de bèuta. Hombeline
11 Je te propose le présent comme avenir.
Lou presènt, te lou pourgisse coume un avenidou. Gilles champeaux.
12 La fenêtre doit être suffisamment ouverte sur le froid pour voir venir le printemps
La fenèstro se dèu d’èstre proun dubèrto sus lafre per vèire arriba la primo. Hombeline
13 Mes ailes ne savent rien du ciel . Je suis encore sur le sol de mes rêves.
Mis alo noun sabon rèn dóu cèu ; Siéu encaro sus lou sòu de mi pantai Hombeline
14 Il est une rencontre que l’on n’oubliera jamais, celle avec soi même
Un rescontre que jamai s’óublidara es lou rescontre de se. Gilles champeaux
15 Sécheresse. secaresso
Il n’y a plus une goutte de rosée sur l’arbre de juillet.
Quand craque la nature , la pluie se perd dans ma mémoire.
I’i a plus gis de gouto d’eigagno sus l’aubre de juliet
Quand cracino la naturo, la plueio s’óublido dins ma memòri . Hombeline
Mise en scène de textes poétiques
Mon travail autour de l’écrit est né d’une rencontre de plusieurs matières: la matière des mots (graphisme, rythme), la matière-livre (ouverture, tourner les pages), la poésie et la pensée philosophique orientale, et la matière-terre (le sable, les pigments).
Cette recherche a été nourrie par l’apprentissage de la calligraphie chinoise et latine, me donnant accès à des ambiances de l’ « ailleurs » dans le temps et l’espace.
J’imprime les papiers (de riz, journal, soie) comme un tissu, mettant à profit 20 ans de peinture textile, inventant et mélangeant les techniques: travail de « chimiste ».
Ce qui m’intéresse, c’est ce qui se cache derrière les apparences, l’envers du décor, la transparence des mots, à travers une réflexion sur le « cadre » : autant de paysages intérieurs, alliance des contraires.
Michèle Durand vit et travaille à ST Maime (04)
Formation
– Ecole des Beaux-Arts Marseille-Luminy 1970-75
– Auto-didacte en peinture textile pratiquée à Forcalquier 1985-2000
– Formée aux « ateliers centrés sur la personne » art-thérapie
– stages en land-art et art contemporain (association Art’ère 84 )
– parcours en calligraphie chinoise et latine
« Plasticienne des mots »
accompagnement de la personne à travers la matière
animations d’ateliers
– autour de l’écrit : écrits de sable, écritures gravées, impressions de textes sur divers supports, créations de livres….
– « corps et graphies » : en co-animation avec Xavier Lainé, praticien Feldenkrais
– en établissement scolaire :école primaire Forcalquier, école maternelle Oraison
Expositions
2009 – Livres-Objets sur les textes de Jean Poncet; « lumière du silence« , « poèmes gyrovagues », Atelier des Caves du Logis-Neuf – 13190 ALLAUCH
2008 – « Peinture, Sculpture et Poétique » – Eglise haute 04150 BANON
2006 – Librairie La Carline – 04300 FORCALQUIER, créations sur « les lettres à un jeune poète « de RM Rilke
2005 – Fête du livre d’artistes 04300 FORCALQUIER
2004 – « Printemps des poètes » Ecrits de sable – Conseil Général – 04000 DIGNE
– Ecrits de sable – 84220 ROUSSILLON, 84220 GORDES, 04300 FORCALQUIER
– Art de mai – 04150 BANON
2003 – « Les orientalistes d’hier et d’aujourd’hui » – 83110 SANARY sur MER
pour suivre mon travail : www.ateliercln.net (cliquez agenda)
Le livre de Daï SIJIE :« Par une nuit où la lune ne s’est pas levée »,a nourri mon travail de création autour de la« gestuelle de l’enroulement », m’amenant à une ré-écritureen association avec le végétal et la calligraphie chinoise.
La trame de cette histoire : la recherche d’un manuscrit en langue inconnue sur rouleau de soie jauniea alimenté mon
imaginaire.
Béeatriz de Die /Clara d’anduze, extraits de poèmes
Es greu esmai / En grave émoi (extrait)
Amics, tan ai d’ira et de feunia quar no vos vey, que quan ieu cug chantar, planh et sospir, per qu’ieu non puesc so far ab mas coblas que.l cors complir volria. |
Ami, j’ai tant de colère et de ressentiments A ne plus vous voir, que lorsque je veux chanter Je pleure et je soupire, car je ne peux faire Avec mes strophes ce que mon cœur voudrait accomplir. |
Clara d’anduza (première moitié du XIIème siècle)
Estat ai en greu cossirier
Estat ai en greu cossirier Per un cavalier qu’ai agut E vuòlh sia totz temps saubut Cum eu l’ai amat a sobrier ; Ara vei qu’eu sui traïda Car eu non li donà m’amor Don ai estat en gran error, En liech e quand sui vestida. Ben volria mon cavalier Tener un ser en mos bratz nut Qu’el se’n tengra per ereubut Sol qu’a lui fezes cosselhier, Car plus m’en sui abelida No fetz Floris de Blanchaflor. Eu l’autrei mon còr e m’amor, Mon sen, mos uòlhs e ma vida. Bels amics, avinenz e bos, Quora’us tenrai en mon poder e que jagues ab vos un ser, e que us dès un bais amoros ? Sapchatz, gran talen n’auria Que us tengués en luòc del marit, Ab çò que m’aguessetz plevit De far tot çò qu’eu volria. |
J’ai été en grand chagrin Au sujet d’un chevalier que j’ai eu Et je veux qu’a jamais l’on sache Combien je l’ai aimé sans mesure ; Maintenant je vois que je suis trahie, Parce que je ne me suis pas donné à lui Ce dont j’ai beaucoup souffert Au lit comme quand je suis vêtue Je voudrais bien mon chevalier Tenir un soir dans mes bras nus Et qu’il se tînt pour comblé Si seulement je lui servait de coussin. Car je suis plus éprise de lui Que Floris de Blanchefleur Je lui octrois mon cœur et mon amour, Mes pensées, mes regards, ma vie. Bel ami avenant et beau Quand vous tiendrai-je en mon pouvoir ? Et que je couche avec vous un soir Et que je vous donne un baiser amoureux ? Sachez que j’aurais grand désir De vous tenir en place de mari Pourvu que vous m’eussiez promis De faire tout selon mon désir. |
Texte de la contesse Béatriz de Die vers 1150
vida : la contesse de Die, épouse de Guillem de Poitiers, était une dame belle et bonne. Elle devint amoureuse de raimbaut d’Orange et composa mainte belles chansons en son honneur.
MOTS D’ICI.
Vaucluse matin Juillet 2008
Mots d’ici et mots d’antan
mots des troubaïris.
1. Pour la durée du festival et dès demain, nous allons, grâce à la chanteuse Hombeline, suivre les pas et les mots – mots d’ici et mots d’antan -, de femmes qui ont vécu sur notre sol à l’époque où le pont Saint-Bénézet n’existait même pas ; des « Chants d’émois », les voix des femmes troubadours, des « Troubaïris », qui ont écrit et chanté dans ce qui allait devenir la lengo nostro ; ces textes ont été traduits par Paul Peyre et mis en musique par Hombeline(CD en vente au palais du Roure pendant le festival). La plus célèbre des Troubaïris fut sans conteste Béatrice de Die. Voici tout ce qu’on sait d’elle, d’après sa « vida » écrite un siècle après sa mort : « La comtessa de Dia si fo moiller d’En Guillem de Peitieus, bella domna e bona. Et enamoret se d’En Rambaut d’Aurenga, e fez de lui mantas bonas cansos » (= « La comtesse de Die fut l’épouse du seigneur Guillaume de Poitiers, belle et bonne dame. Elle s’enamoura du seigneur Raimbaut d’Orange, et fit sur lui maintes bonnes chansons »).
2. « Belle damo de Dio … ».
A la mystérieuse « troubaïritz » Béatrice de Die, les félibres ont érigé en 1888 une statue, oeuvre de Clovis Hugues, qu’ils ont inaugurée le 10 août à Die, et toujours visible sur la petite place. A cette occasion, Félix Gras a dédié cette ode à la poétesse :
« Belle damo de Dio, estello de l’amour,
Toun front seren e pur clarejo coume uno aubo,
La garbo de toun pèu qu’oundejo sus ta raubo
Nous embaumo lou cor coume un jardin en flour »
(= « Belle dame de Die, étoile de l’amour, / Ton front serein et pur rayonne comme une aube, / La natte de tes cheveux qui sur ta robe ondoie, / Nous embaume le coeur comme un jardin fleuri »).
3. « A chantar m’er… ».
Longtemps le texte le plus connu de Béatrice de Die fut celui-ci, le seul qui soit accompagné de notations musicales d’origine : « A chantar m’er de so qu’eu no volria,/
Tant me rancur de lui cui sui amia,/
Car eu l’am mais que nulha ren que sia :/
Vas lui no’m val Merces ni Cortezia,/
Ni ma beltaz ni mos prètz ni mos sens ;/
Qu’atressi’m sui enganad’ e trahia/
Com degr’esser, s’eu fos desavinens » » (= « Ici je vais chanter ce que je voudrais taire,/ Tant j’ai fort à me plaindre de celui dont je suis l’amie ;/ Je l’aime plus que nulle chose qui soit / De lui ne valent ni Merci, ni Courtoisie, / ni ma beauté ni mon mérite ni mon esprit, / Je suis trompée et trahie/ Comme je le serais si je n’avais le moindre charme. »).
4. « Valer mi deu mos Prètz… ».
Hier nous avons vu la 1e strophe de la chanson de Béatrice de Die, seul texte accompagné de notations musicales originelles. La troubaïris y évoquait allégoriquement (majuscules) ses qualités, susceptibles d’inspirer l’amour. La dernière strophe les reprend comme en écho :
« Valer mi deu mos Prètz e mos Paratges / E ma Beutatz, e plus mos fins Coratges ; / Per qu’eu vos man, lai on es vostr’estatges, / Esta chanson, que me sia messatges » (= « Je dois pouvoir compter sur mon Mérite, ma Noblesse, / Ma Beauté et plus encore sur ma Sincérité de coeur ; / C’est pourquoi je vous mande, là-bas, en votre demeure / Cette chanson qui me servira de messager ») (CD Chansons d’émois, Hombeline, traduction Paul Peyre, plage 10).
5. « E volh saber.. »
« E volh saber, lo meus bels amics gens, / Per que vos m’ètz tant fèrs ni tant salvatges : / No sai si s’es orgolhs o mals talens. » (= « Je veux savoir, mon bel et noble ami, / Pourquoi vous êtes à mon égard si farouche et si sauvage : / Je ne sais si c’est orgueil ou malveillance »). Et délicatement se termine, dans la traduction française, ce poème dont nous avons déjà vu deux extraits (« A chantar m’er » et « Valer mi deu ») : « Mais je veux que tu lui dises, messager, / Que par excès d’orgueil maintes gens sont blessées ». Linguistiquement, on ne s’étonnera pas de voir des « s » en finales de mots au singulier : la langue médiévale décline sous 2 formes ses noms et adjectifs (cas sujet/ cas complément), et de même au pluriel, la 1e souvent terminée par un « -s » au singulier.
6. « Mout mi plai… ».
« Mout mi plai car sai que val mais /
Cel que plus desir que m’aia » (= « Il me plaît infiniment et je sais qu’il a de la valeur, celui dont je désire le plus qu’il me possède »). On apprécie ici la poignante concision du poème médiéval (15 mots, contre 23 dans la traduction), dont la simplicité exprime la violence du désir amoureux, mais aussi l’estime liée à l’amour – on ne peut aimer si l’on n’admire pas – : il « val mais », c’est-à-dire il a plus (« mais » est directement issu de « magis » latin) de valeur, plus de prix que tous les autres (CD « Chants d’émoi », plage 1).
7. « … E cel que primiers lo m’atrais… ».
« … E cel que primiers lo m’atrais, / Dieu prec que gran joi l’atraia. ». « Il me plaît infiniment », chantait hier Béatrice de Die de son amant, et elle poursuit : « … Et qu’à celui qui l’a attiré vers moi, / Dieu donne grande joie ». A défaut de penser à Cupidon ou autre lutin farceur – ce qui serait le cas dans l’Antiquité ou dans un poème mythologique, fût-il médiéval -, sans doute faut-il croire que la poétesse souhaite bénédiction pour celui – ami, parent ?- qui les a présentés l’un à l’autre; l’absence de sources biographiques nous contraint aux conjectures. Du moins l’intensité du bonheur est communicative…
8. « E qui que mal l’en retraia…. ».
« E qui que mal l’en retraia : / No’l creza fors qu’ie’l retrais ;/ Qu’om cuolh maintas vetz los balais / Ab qu’el mezeis se balaia » (= « Et si quelqu’un dit du mal de moi, qu’on se garde de le croire / Car souvent l’on cueille les branches qui nous-mêmes nous balaieront »). Voilà un souci bien joliment exprimé du qu’en-dira-t-on. Ces 4 vers du poème de Béatrice de Die (traduction Paul Peyre, in « Chants d’émoi », CD Hombeline, plage 1), tout comme les 2 qui les précèdent (notre édition d’hier) ont la particularité de jouer 2 à 2 sur le même verbe en fin de vers (la rime n’existe pas encore telle que nous la connaissons) sous des formes à peine différentes.
9. « Amics, la vostra valensa… ». (chanson 1).
« Amics, la vostra valensa / Sabon li pro e li valen ;/ Per qu’ieu vos quier de mantenen, / Si’us plai, vostra mantenença » (= « Ami, les preux et les vaillants connaissent votre valeur ; / Je vous prie donc de m’accorder, s’il vous plaît, votre protection », Béatrice de Die, « Chants d’émoi », traduction Paul Peyre). La vaillance et la valeur morale (même étymologie dans les 2 substantifs) sont au Moyen Age les qualités essentielles d’un homme digne d’être aimé, l’amour courtois ne s’attachant qu’à un individu, homme ou femme, estimable et reconnu comme tel. Notons au passage le terme « mantenença », ancêtre de l’actuel « mantenenço », qui désigne aujourd’hui spécifiquement le respect et le maintien des traditions provençales.
10. « Ben volria mon cavalier… » (chanson 5).
« Ben volria mon cavalier / Tener un ser en mos bratz nut / Qu’el se’n tengra per ereubut / Sol qu’a lui fezés cosselhier » (= « Je voudrais mon chevalier / Tenir un soir dans mes bras nus / Et qu’il se tînt pour comblé / Si seulement je lui servais de coussin », Béatrice de Die). Quelle pudique audace dans ce quatrain ! L’inversion du groupe verbe-complément (« mon cavalier tener »), 1e transgression, annonce les autres, d’un autre ordre. L’heure vespérale (« un ser ») ? ce n’est que la promesse de la nuit qui va la prolonger ; les bras nus ? délicate métonymie pour en dire sans doute bien davantage. Quant au 2e distique, il garde son mystère : est-il une anticipation de l’union (« ereubut ») ou au contraire le souhait de ne pas brûler les étapes (« sol que.. ») ? C’est précisément le mystère que cultive la poétesse….
11. « Amics, tant ai d’ira… ». (chanson 4).
« Amics, tant ai d’ira et de feunia / Quar no vos vei, que quan ieu cug chantar / Planh et sospir… » (= « Ami, j’éprouve tant de colère et de désespoir / De ne pas vous voir que lorsque je pense chanter, / Je me plains et je soupire… »). Quelques années après Béatrice de Die (vers 1150), voici une autre troubaïris, Clara d’Anduze (1e moitié du 13e siècle ?). Uc de Saint- Circ, son noble amoureux, l’avait tant louée dans ses poèmes que des témoignages d’admiration parvenaient de toute la contrée à la belle dame ; une voisine jalouse, Ponsa, attira Uc dans ses filets, puis sa ruse fut heureusement déjouée et Uc revint vers Clara. Celle-ci écrivit son seul, long poème, de souffrance et de fidélité.
12. « Amics, tant ai d’ira… » (suite).
Complétons aujourd’hui le distique commencé hier : « Amics, tant ai d’ira et de feunia / Quar no vos vei, que quan ieu cug chantar / Planh et sospir per qu’ieu non puesc so far / Ab mas coblas que cors complir volria » (= « Ami, j’éprouve tant de colère et de désespoir / De ne pas vous voir que lorsque je pense chanter, / Je me plains et je soupire parce que je ne puis faire / Avec mes couplets ce que mon cœur voudrait accomplir. »). Clara d’Anduze exprime dans cet unique poème sa poignante révolte contre la trahison, et l’impossibilité de la poésie à compenser la douleur de la réalité. Les mots, très courts, se bousculent, les consonnes se heurtent rudement (c, p..), les rimes sont embrassées (abba) : autant d’indices potentiels du bouleversement psychologique
13. (chanson 9). « Ar em al freg temps vengut… »
« Ar em al freg temps vengut / Quel gels el neus e la fanha (variante : fainga) ; / El aucellet estan mut, / Qu’uns de chantar non s’afranha (variante : s’afrainga) » (= « Voici arrivés le temps froid, / Le gel, la neige, la fange ; / Les oiseaux sont si muets , / Aucun d’eux ne veut plus chanter »). Le froid de l’hiver comme métaphore de la douleur d’aimer est récurrent dans la poésie médiévale. Azalaïs de Porcairagues, auteur de cette unique chanson de 52 vers, passe pour la 1e troubaïris connue ; originaire de la région de Montpellier (Portiragnes, à une dizaine de kilomètres ?), elle fut amoureuse de Gui Guerrejat, cousin du plus ancien troubadour provençal, Raimbaut d’Orange (mort en 1173), ce dernier étant lui-même un ami de Béatrice de Die.
14. (chanson 9). « E son sec li ram… »
« … E son sec li ram pels plais / Que flors ni folha non i nais, / Ni rossignol no i crida / Que l’am s’en mai me reissida » (= « Les rameaux sont si secs dans les haies, / Ni fleur ni feuille n’y poussent. / Ni le rossignol n’y chante, / Lui que j’aime lorsqu’il m’éveille »). Rameaux secs, coeur sec, c’est souvent par ce parallélisme qu’un poète (une poétesse) se plaint de l’insensibilité de l’aimé(e) ; ici la simplicité plaide pour la sincérité, l’authenticité du sentiment, la vérité de l’observation du monde. C’est la 2e moitié de la 1e strophe du poème d’ Azalaïs de Porcairagues, la suite du quatrain proposé hier.
15. (chanson 9). « Tant ai lo cor deceubut… »
« Tant ai lo cor deceubut, / Per qu’ieu soi a totz estranha, / E sai que l’om a perdut / Molt plus tost que non gazanha » (= « J’ai le coeur si désabusé, / A tous je suis étrangère / Et je sais que l’on perd en amour / Bien plus vite que l’on ne gagne »).
Azalaïs de Porcairagues, auteur de cette unique chanson de 52 vers qui nous soit parvenue – elle aurait écrit bien d’autres textes, tous adressés à Gui Guerrejat -, laisse entendre que son histoire d’amour a connu des moments difficiles, mais on n’en saura pas plus. Même la « tornada » (ou envoi, ou couplet final, de moitié plus court que les autres strophes comme l’impose le genre) ne nous éclaire pas davantage sur la biographie de la poétesse.
16. « Fin Joi me don’alegransa ».
« Fin Joi me don’alegransa / Per qu’eu chan plus gaiamen, / E non me tenh a pensansa / Ni a negun pensamen » (= « La joie d’amour me donne allégresse. / Pour cela je chante gaiement ; / Je ne me tiens pas dans la peine / Ni dans aucun tourment »).
L’amour courtois était un amour éthéré, et les troubadours (hommes) chantaient la femme inaccessible ? Voilà que les troubaïris (femmes) – ici Béatrice de Die – répondent avec simplicité, avec authenticité, avec fougue : nous sommes des femmes de coeur et de chair, et nous revendiquons notre droit à l’amour. Une belle audace !
17. « Que mi donetz, bèla Domna, si’us platz… »
« Que mi donetz, bèla Domna, si’us platz / Co dont plus ai d’aver joi esperança; / Car en vos ai mon cor e mon talan / E per vos ai tot ço qu’ai d’alegrança, / E per vos vauc mantas vetz sospiran » (= « Que vous m’accordiez, belle Dame, s’il vous plaît, ce dont j’espère avoir le plus de joie : car c’est en vous que j’ai mis mon cœur et mon désir, et c’est par vous que j’ai tout ce qu’il y a en moi d’allégresse, et pour vous que je vais maintes fois soupirant(e). »). Ce texte, qui contient tous les clichés de l’amour courtois, est le seul adressé à une femme et signé d’un prénom à consonance lui aussi féminine, Bieiris de Romans ; néanmoins aucun indice grammatical dans les 24 vers du poème ne confirme son caractère saphique.
18. « Una gens enojosa e fera… ».
« Una gens enojosa e fera, / Cui gautz ni bes ni alegrers non platz, / Nos guerrejan, dan mos cors es iratz, / Quar per ren als senes vos non estera » (= » Mais des gens importuns et méchants, / A qui ni joie, ni vertu, ni allégresse ne plaisent, / Nous font la guerre, ce dont mon coeur s’irrite ; / Car pour rien au monde sans vous je ne saurais rester »). La « troubaïritz » anonyme, auteur de ce poème, ne se morfond pas en lamentations devant les tracasseries des jaloux : son quatrain est péremptoire, syntaxiquement bien construit, indice d’une volonté à qui l’on ne s’attaque pas impunément.
19. « Gaug entier non posc ses vos aver ».
« Gaug entier non posc ses vos aver, / A cui m’autrei lejalmen ses enjan, / Eus lais mon cor en gatge, on qu’ieu m’an » (= « Je ne peux éprouver de vraies joies sans vous, / Vous à qui je pourrais me donner loyalement et sans mensonge. / Je vous laisse mon coeur en gage où que j’aille »). Dommage que ce texte de deux octains, intitulé « Bels dous amics », soit anonyme ! L’auteure est une personnalité affirmée, fougueuse, authentique. Sa sincérité ne peut que forcer la sympathie, et l’on suppose que le « bels cors cortes et enseignatz » (« beau coeur noble et instruit ») n’a pas dû résister longtemps…
20. « Non a un nom mon amador ».
« Non a un nom mon amador, /
Que pren aquel de l’aura /
Quan fremeja /
Sobre las mias bocas » (= « Mon amant n’a pas de nom, / Il prend celui du vent / Quand il frémit / Sur mes lèvres »). La chanteuse-musicienne Hombeline puise aussi son inspiration dans sa passion brûlante « entre le Rhône et Vence, entre mer et Durance »,elle ressemble à ces femmes de la fin du Moyen Age, audacieuses dans leur vie et dans leurs mots, qui ont vécu des histoires « excessives, ardentes et sèches comme nos paysages », dans la lumière qui « vacille d’espérance en désespérance ».
21. « La Prouvenço cantavo e lou tems courreguè… ».
C’est deux siècles après les troubadours que la Provence avec Palamède de Forbin comme lieutenant général) sera annexée à la France (le roi est alors Louis XI), et que tous les rois de France seront dits comtes de Provence et se reconnaîtront comme tels ; cela inspirera à Frédéric Mistral, presque quatre siècles plus tard, quelques vers d’une sobre nostalgie : « La Prouvenço cantavo e lou tems courreguè ; /
E coume au Rose la Durènço /
Perd à la fin son escourrenço, /
Lou gai reiaume de Prouvenço /
Dins lou sèn de la Franço à la fin s’amaguè » (« La Provence chantait, le temps courait. / Et comme au Rhône la Durance / Perd à la fin son propre cours, / Le gai royaume de Provence / Dans le sein de la France à la fin se blottit », in « Miréio », XI).
22. « Ab Joi e ab Joven m’apais… ».
Dans ce Moyen Age que l’on a trop longtemps imaginé comme triste et morose, voilà qu’une amoureuse fait éclater sa joie et que ses vers sont éclaboussés de bonheur : « Ab Joi (« o » accent grave) e ab Joven m’apais / E Joi e Joven m’apaia, / Que mos amics es lo plus gais / Per qu’ieu sui coindet’ e gaia / E pois (« o » accent grave) ieu li sui veraia » (= « joie et Jeunesse me comblent, Et je vis de Jeunesse et de Joie, / Car mon ami est le plus gai ; / C’est pour cela que je suis aimable et gaie », Béatrice de Die). Ces accents inattendus (Musset n’écrira-t-il pas, bien plus tard : « Les plus désespérés sont les chants les plus beaux » ?) nous la rendent éminemment sympathique…
23. « Domna qu’en bon pretz s’enten… ».
Naïveté juvénile, ou vanité inconséquente de l’amoureuse ? Du moins Béatrice de Die est tellement charmante dans son enthousiasme ! « E Domna (« o » accent grave) qu’en bon pretz s’enten / Deu ben pausar s’entendensa / En un pro cavalier valen ; / Pois (« o » accent grave) qu’ilh conois sa valensa, / Que l’aus amar a prezensa ; / Que Domna, pois am’a prezen, / Ja pois li pro ni l’avinen / No’i diràn mas avinensa » (= « Dame qui s’entend en mérite / Devrait savoir s’accorder à un preux et vaillant chevalier / Dont elle a perçu le courage / Et oser l’aimer devant tous ! / D’une dame aimant au grand jour, / Toujours les braves et vaillants ne diront que gentillesses »).
24. « Car ieu begui de l’amor… ».
Raimbaut(d) IV d’Orange (1140-1173), qui prit pour armoirie le cornet, adopté ensuite par la ville dans son écusson, fut le 1er troubadour connu et grand amateur de femmes (qui le lui rendaient bien), notamment les poétesses Béatrice de Die, Azalaïs de Porcairagues. De celle-ci il dit aimablement (traduction) : « Mais ma belle jongleuse devinera bien. Elle a tant de mérite, elle m’est si dévouée / Que jamais d’elle ne me viendra aucun tourment ». Et après l’abandon, Azalaïs, qui ne connaissait pas la demi-mesure, exprime sa douleur : « Je me suis laissé prendre par de bonnes paroles. / D’Orange vient mon trouble, je suis tellement perdue ! Une bonne part de ma joie m’est ravie ». Raimbaut était plus poète qu’amoureux constant : « Car ieu begui de l’amor… Que ja us dein amar celada / Ab Tristan, quan la il det Yseus gent… »
25. « Tan trac pena d’amor / Qu’a Tristan l’amador / Non avenc tant de dolor / Per Yseut la blonda » (= « J’ai tant souffert d’amour / Que Tristan l’amoureux / N’éprouva pas autant de douleur / Pour Yseut la blonde », traduction GD). Bernard(t) de Ventadour (1130-1215), auteur de ce quatrain délicat, est le fils d’un serviteur du château de Ventadour, initié à l’écriture par son seigneur ; chassé du château pour une affaire amoureuse, il se réfugie auprès d’Aliénor d’Aquitaine puis de Raimon V, comte de Toulouse. À la mort de celui-ci, il se fait moine. L’ensemble de son oeuvre est consacré à la Fin’Amor, l’amour courtois et délicat. Mais à partir 1277 l’Eglise interdira le chant courtois, réservant à la Vierge, à une femme éthérée, les hymnes d’adoration.
26. Marcabru (1129-1150), d’origine gasconne, était un enfant trouvé ; son protecteur Guillaume X d’Aquitaine, prendra ombrage des poèmes qu’il adressera à son épouse, Aliénor. Jongleur, il parcourra alors les cours du midi de la France. Sa poésie, pittoresque, parfois truculente parfois complexe, dénonce l’aristocratie de son temps. Il est aussi l’auteur de la 1e pastourelle connue (poésie pastorale, en opposition avec la poésie courtoise et raffinée) : « L’autrier, a l’issida d’abriu, / En uns pasturaus lonc un riu, / Et ab lo comens d’un chantiu / Que fant l’auzeill per alegrar, / Auzi la votz d’un pastoriu / Ab una mancipa chantar. »
Geneviève Dewulf Allène
Ces articles de presse ont été publiés dans Vaucluse matin dans la rubrique : « Mots d’ici » du 3 au 29 Juillet 2008
Aquo sariá donc d’amar.
Aquela fisança aquela enveja ?
Come fau estre fòrt per aceptar son impoténçia.
Come fau estre fòrt per aculhir sei paurs !
Come fau estre fòrt per ausar cavaucar aqueste chivau de luna.
Come fau estre fòrt per aculhir sei paurs
Come fau estre fòrt per aceptar son impoténçia.
La mendre desgaubiadura e lo fiòc dau fogau pòu cremar la maison.
Aimer serait donc ça.
Aimer serait donc ça, cette confiance cette envie ?
Comme il faut être fort pour accepter son impuissance,
Comme il faut être fort pour accueillir ses peurs.
Comme il faut être fou pour oser chevaucher ce cheval de lune.
Aimer serait donc ça, cette confiance cette envie ?
Comme il faut être fort pour accueillir ses peurs.
Comme il faut être fort pour accepter son impuissance
La moindre maladresse et le feu du foyer peut brûler la maison.
Texte et musique : Hombeline .
Traduction occitane serge Bec